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Black tax: mythe ou réalité

Je lis en ce moment le livre « Black tax: Burden or Ubuntu? » (Impôt Noir: fardeau ou bénédiction). C’est un livre écrit par des auteur.es Sud-Africains et édité par Niq Mhlongo.

C’est une livre que je prends beaucoup de plaisir à lire en tant qu’immigrante. Le livre aborde le Black tax sous l’angle des professionnelles noires qui doivent soutenir financièrement leur famille. J’aimerais dans cet article aborder le sujet du point de vue des immigrantes noires qui doivent soutenir leurs familles restées dans le pays d’origine.

Avant d’aller plus loin, commençons par le commencement, c’est quoi le Black tax?

Black tax c’est le soutien financier que les jeunes professionnel.les noir.es doivent apporter à leur famille et dans une mesure plus large toutes les personnes de leur entourage qui ont moins bien réussi financièrement. 

Il faut dire que le terme fait débat. Certaines personnes pensent que parler d’impôt signifie qu’en aidant sa famille ou ses proches, on attend quelque chose en retour tout comme on attend de l’état qu’il construise des routes des écoles et des hôpitaux avec les impôts que nous payons. Cette dénomination enlève tout son sens au concept de solidarité africaine reconnue à travers le monde. 

D’autres personnes pensent qu’il s’agit d’un impôt qu’on paye pour faire partie de notre cercle familial ou amical parce que ne pas céder aux différentes requêtes fait qu’on est « fiché » comme avare. Ce qui résulte en un certain isolement social.


Une chose est certaine la solidarité africaine n’est pas un mythe. En grandissant, j’ai vu tout genre de personnes vivre chez nous. Ma famille restreinte est normalement composée de sept personnes (mes parents et mes quatre frères et sœurs). Mais nous n’avons jamais (et je n’exagère pas du tout en disant jamais) vécu juste tous les sept dans notre maison. Les oncles et tantes, les cousins et cousines, les neveux et nièces, les connaissances, les ami.es et j’en passe. Il y avait toujours quelqu’un pour vivre avec nous pour une raison ou pour une autre et pour une durée pouvant aller de quelques semaines à quelques mois voire des années. 

Mon père qui était le seul salarié de la famille ne se plaignait jamais de ces allées et venues de personnes dans notre famille. Adolescente, notre qualité de vie avait drastiquement diminué parce que mon père avait entrepris de construire sa maison de retraite mais les bouches à nourrir ne diminuaient pas pour autant. Ma mère dit toujours, s’il y en a pour 5 il y en a pour 6 et ainsi de suite.

Est-ce que mon père « payait » pour ce dont il avait bénéficié dans son enfance pour en arriver où il était? Je ne saurais le dire. On dit souvent il faut un village pour élever un enfant alors je suppose que lorsque cet enfant grandit il intègre le village qui élève la génération suivante.


Je suis d’avis qu’un succès dont on est seul à profiter n’est pas vraiment gratifiant. À quoi ça sert d’être dans une tour d’ivoire à profiter de tout ce que la vie a de plus beau à offrir si on n’en fait pas bénéficier d’autres personnes? C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé ce blogue malgré la difficulté que j’ai à me mettre en avant et publier mes pensées. J’aurai simplement pu continuer à investir mon argent, bâtir mon petit empire et retourner frimer chez moi pour montrer comment j’ai réussi. Mais je pense que j’aurai vraiment réussi si je permets à d’autres immigrants comme moi de profiter ce que ce pays a à nous offrir. 

De cette logique, je trouve qu’il est tout à fait normal pour une personne qui a un emploi d’aider les siens qui sont moins nantis. Je ne concevrais pas qu’un membre de ma famille me contacte pour un problème comme la santé, la scolarité d’un enfant, une personne qui doit aller à une entrevue pour un emploi et que je dise à cette personne que je ne peux pas l’aider lorsque je pourrais le faire. 

Je l’ai déjà mentionné, dans mon budget, j’ai un fonds pour les dons. Ça peut être ici au Canada ou chez nous, à chaque fois que je peux, j’aide les gens autour de moi. Il y a des gens qui meurent, qui accouchent, qui sont malades qui ont tout genre de problèmes et il est important lorsqu’on le peut de les aider. Je ne considère pas ceci comme un impôt. Je considère que c’est le cours normal de la vie en société. On ne peut décemment pas vivre en fermant les yeux sur ce qui nous entoure.


Là où on peut parler de Black tax, c’est lorsque l’aide qui est attendue est supérieure à ce que la personne peut se permettre. Je ne me souviens plus dans quel livre j’avais lu qu’aider des gens lorsqu’on est soi-même dans une situation difficile c’est se voler. J’ai plusieurs fois été coupable de ce comportement: ne pas en avoir assez pour moi-même mais vouloir accéder aux requêtes que les gens me soumettaient.  

Pour nous les immigrants, une autre façon dont cet impôt s’applique à nous c’est lorsqu’on doit cotiser pour un événement heureux ou malheureux. À plusieurs reprises on m’a déjà dit: « tout le monde va donner 50 mille mais comme toi tu es au Canada, tu va donner 100 mille ». Et à chaque fois, j’ai cotisé exactement 50 mille comme tout le monde. Pourquoi je devrais payer plus parce que je suis à l’étranger? 100 mille c’est quand même plus de 200$ alors, penser que parce que j’envoie l’argent en dollar canadien, la charge est moins lourde pour moi, c’est un leurre. 

Une autre façon dont la taxe s’applique à certaines personnes, c’est lorsqu’on finance pour la vie de luxe des autres. Je ne me souviens pas du nombre de situations où j’ai vu des immigrants financer la vie de luxe des membres de leur famille restés au pays. Et ces personnes sont souvent les premières à décrier le poids de la famille africaine qui nous empêche de nous enrichir et autre. Donner aux autres ce qu’on ne peut s’offrir c’est se voler à soi-même. 

Je pars dans mon pays dans quelques semaines (je n’ai toujours pas reçu mon visa. Merci IRCC) et j’ai demandé à ma dizaine de nièces et neveux ce qu’ils voulaient que je leur garde. La plupart veulent des appareils électroniques. Donc depuis quelque temps je regarde tout ce que je peux trouver comme électronique entrée de gamme ou seconde main de bonne qualité. Je ne vais pas commencer à acheter des iPhone 11, 12 et 13 à des enfants. Premièrement parce que je n’en ai pas un moi-même (j’utilise un iPhone 7) et deuxièmement parce que ça me couterait plus cher que ce que je peux supporter. Pourtant je vois beaucoup de mes amis immigrants faire cela.

Je connais beaucoup d’immigrants dont chaque voyage au pays coute plusieurs milliers de dollars en dehors du billet d’avion. Pourquoi, parce qu’ils veulent garder quelque chose à tout le monde. Ils veulent garder les meilleures marques, les meilleurs gadgets, etc. Quand ils pensent à tous ces coûts, ils renoncent à aller voir leur famille et affirment que la famille africaine est un fardeau. Comme on dit chez nous, il faut accrocher son sac où on peut le décrocher. Pourquoi prendre l’engagement de garder quelque chose à tout le monde quand on sait que c’est financièrement accablant? La première fois que je suis repartie chez nous, j’ai gardé quelque chose à chacun de mes frères et sœurs et mes parents. J’ai gardé les chocolats aux enfants. Les autres personnes que je rencontrais pendant mon séjour, je leur donnais un billet de 1000, 2000 ou 5000. En dollars canadiens, ça me revient à moins de 25$. Beaucoup moins que ce que ça m’aurait coûté de garder quelque chose d’ici.

Pour finir, je pense que le concept de Black tax est un mythe. L’une de nos plus belles valeurs en tant qu’africain est notre solidarité. Je n’ai pas envie de voir des gens autour de moi souffrir pendant que je m’en sors très bien et ne rien faire pour les aider parce que Black tax. 

D’un autre côté beaucoup d’entre nous ont du mal à fixer des limites. Il veulent donc aider au delà de ce qu’ils sont capables de faire. Par exemple, j’ai dit à ma famille, je ne refuse rien à personne, à condition que les doléances soient posées dans un délai raisonnable d’un mois au minimum. Donc si tu me poses ton problème aujourd’hui et que tu as besoin d’aide la semaine prochaine, tu vas devoir te débrouiller sans mon aide. Si quelqu’un te demande un iPhone 13 alors que toi-même tu utilises un iPhone 7 et que tu le lui offres, tu ne sais pas ce que tu fais.

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